Ils ont vécu en paix pendant 2 siècles sur la seule île habitée que comptent les 55 îles de l'archipel qui appartiennent à la Grande-Bretagne depuis 1814. Il s’agit d’un bout de terre de 28 km2. De là, 2.000 Chagossiens ont été expulsés dès que les autorités britanniques ont accepté de louer cette île aux Etats-Unis. Un deal officialisé à Londres le 30 décembre 1966. En quoi consistait ce ‘deal’ ? En échange de l’annulation d’une dette de 14 millions que Londres avait contractée auprès de Washington pour l’acquisition de sous-marins Polaris, Londres confie Diego Garcia aux Américains en se pliant à leurs exigences : faire en sorte que le terrain cédé soit vidé de tout habitant. Pour y parvenir, Londres arrête d’approvisionner les insulaires en vivres et médicaments, et les Chagos sont contraints d’évacuer. L’expulsion devient un fait accompli.
La base militaire
Officiellement, le bail se justifiait pour assurer la protection des 'autoroutes des hydrocarbures' et des matières premières stratégiques traversant l'océan Afro-asiatique pour une période de 50 ans. La réalité est plus crue : depuis 1966, les États-Unis ont investi plus de 3 milliards de U$ dans la création, la modernisation, l'entretien et l'utilisation de Diego Garcia. Pour le Pentagone, c’est l'une des installations américaines les plus importantes du point de vue stratégique : située au cœur de l'océan Indien et atteignable uniquement par transports militaires, la base a été mise au service d’opérations militaires depuis l'époque de la guerre froide jusque dans les luttes antiterroristes d'aujourd'hui, en abritant (par exemple) une prison secrète de la CIA, selon l’anthropologue qui vit à Washington, David Vine. Dans la mesure où le bail expirait en 2016, les Chagos espéraient regagner leur île natale et se sont installés, temporairement comme on leur avait dit. Il s’agit de 10.000 Chagos déracinés qui vivent actuellement à Maurice, (qui réclame les îles Chagos depuis 1980), aux Seychelles et au Royaume-Uni. Mais le temporaire risque fort de ne pas l’être.
Initialement, le Royaume-Uni n'avait pas complètement exclu la possibilité du retour du peuple Chagossien. D’ailleurs, le droit à la réinstallation des Chagossiens sur leur île a été reconnu par la Haute Cour de Justice de Londres dès 3 novembre 2000. Ce droit a été confirmé par cette même juridiction dans un jugement rendu le 11 mai 2006 et aussi par la Cour d'Appel de Londres le 23 mai 2007. La mobilisation des Chagossiens n’a pas failli depuis. Les relais dans le monde non plus. Sept prix Nobel ont lancé un appel au président Barack Obama afin qu’il rende justice aux Chagossiens avant son départ de la Maison Blanche le 20 janvier 2017. Ces lauréats du Nobel n’ont pas exigé la fermeture de la base militaire de Diego Garcia, mais le droit des Chagossiens d'y retourner et d'y travailler aux côtés des militaires américains. En 2010, un télégramme transmis par des diplomates US au Foreign Office révélé par Wikileaks explique que la mise en place d’une réserve marine, s'étalant sur 544.000 km2, autour des Chagos, soit deux fois la superficie de la Grande-Bretagne, pourrait neutraliser les revendications des insulaires. L’argument conservationniste ou éco-impérialiste n’est-il pas un simple écran de fumée ? Vinesh Hookoomsing, l’ancien vice-président de l’Université de Maurice a clairement posé la question : “Pour qui alors protéger la biodiversité marine ? Il ne peut y avoir de Marine Protected Area sans des gens et en premier des Chagossiens qui sont les premiers gardiens de la richesse marine des Chagos”.
Le volte-face de Londres
Le rejet de l’option du retour (des habitants) a coïncidé avec le changement de gouvernement consécutif au vote sur le Brexit. Le 16 novembre (2016), Londres décide de s’opposer au retour des Chagossiens sur leur île natale. La concession britannique de Diego Garcia au Pentagone est prorogée jusqu'au 30 décembre 2036, soit pour une période de 20 ans. Pour justifier le renouvellement du bail de 1966, Londres invoque la sécurité, la défense et un coût élevé du repeuplement des Chagossiens et de leurs descendants.
Pour calmer les esprits et tenter de faire taire les indignés, le Royaume-Uni propose d’accorder une somme de 40 millions £, soit 46 millions d’euros, sur une période de dix ans afin d'améliorer la vie des Chagossiens en exil. En guise de compensation. Mais l'offre est déclinée. Selon le leader du 'Groupe Réfugiés Chagos', Olivier Bancoult, ce ‘cadeau’ de 40 millions constitue une atteinte aux droits fondamentaux des Chagossiens.
Crime contre l'humanité
Le refus britannique de reconnaître le ‘droit au retour’ des Chagossiens est inacceptable, notamment au regard des Nations unies. Concrètement, l'article 9 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme adoptée en 1948 stipule que nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé.
Selon l'article 7 (d) du statut de la Cour Pénale Internationale (CPI), la déportation ou le transfert forcé de population est considéré comme un crime contre l'humanité dans le cas où celui-ci est commis dans le cadre d'une attaque systématique contre une population civile, en connaissance de cause. Ce crime contre l'humanité a fait l'objet du film intitulé ‘Une nation volée’, dans lequel le journaliste australien John Pilger a donné la parole aux Chagos. Cependant, la force juridique de la CPI n'est pas rétroactive et les crimes commis avant la date du 1er juillet 2002 ne peuvent pas être jugés aux termes de cet article.
L'écoute des doléances de la communauté chagossienne s’impose, car cette communauté a été et reste l'une des premières victimes collatérales de la querelle idéologique et politique Est-Ouest.
B.C.