Face au lobby pharmaceutique, l'Organisation mondiale de la santé n'a déjà pas toujours les coudées franches. Pour aggraver son cas, comme pour le recours à l'uranium appauvri en Irak, dès qu'il est question de nucléaire, elle se couche devant l'AIEA.
Le monde onusien est un monde compliqué. Parmi les différentes agences, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) Son objectif est parfaitement louable : amener tous les peuples au niveau de la santé le plus élevé possible . Sauf que ça ne concerne pas les peuples victimes des radiations. L'OMS a donc le droit de mener une étude d'impact sanitaire, comme elle l'a fait récemment en Haïti, mais pas n'importe laquelle. Dès que cela relève de l'impact du nucléaire, comme par exemple du côté de Tchernobyl ou de Fukushima, elle doit demander la permission à une agence qui n'a aucune compétence en matière de santé publique, l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA). Ou se taire — ce qu'elle fait à Fukushima. Pour Tchernobyl, ce fût encore plus cocasse : plutôt que de s'occuper des problèmes génétiques, des mutations, de l'altération des chromosomes par le rayonnement ionisant, l'OMS s'est préoccupée des caries dentaires des enfants...
L'accord entre l'AIEA et l'OMS remonte au 28 mai 1959.
Son nom de code : WHA 12-40. Il interdit à l'OMS de prendre une position qui risquerait de nuire à son compère. Il n'interdit pas en revanche aux deux parties, selon l'article 3, de prendre des mesures pour sauvegarder le caractère confidentiel de certains documents dont la divulgation compromettrait la bonne marche de leurs travaux ... Concrètement, l'axe Genève-Vienne est un feu vert à la désinformation, la falsification de données, et plus simplement, avec ou sans serment d'Hippocrate dans la poche, la rétention d'information. C'est ce qui explique pourquoi les contenus de la conférence de Genève en 1995 et celle de Kiev en 2001 sur les conséquences de Tchernobyl n'ont pas été publiés à ce jour. L'accord permet ou facilite le négationnisme nucléaire. Il peut aussi provoquer des dégâts inestimables, puisque, comme l'explique le professeur Michel Fernex 'un déni de maladie implique inévitablement un déni de soin'.
Regardons ce qui s'est passé avec Tchernobyl. Dix ans après la catastrophe, en avril 1996, l'OMS reprenait toujours les chiffres fournis par l'AIEA, soit 32 morts, 200 irradiés et 2000 cancers de la thyroïde. Puis, par la suite, ses réévaluations suivaient celles de l'Agence de l'atôme : 4.000 morts annoncés en septembre 2005, puis 16.000... Mais personne n'avait prévu que l'Académie des Sciences de New York s'en mêlerait : un pavé de 1000 pages, avec 5000 articles signés, publié au printemps 2010 et qui rehausse l'étendue des dégâts...
C'est pour dénoncer cette collusion, pour sauver l'OMS de ces mauvaises fréquentations que des vigies se relayent tous les jours — ouvrables, faut pas pousser —, depuis le 26 avril 2007, devant le bâtiment imposant de l'organisation à Genève. Un manifeste Pour l'indépendance de l'OMS circule depuis un an et, parmi les signataires, Stéphane Hessel cotoie le maire de Genève, Rémi Pagani. Après 4 ans, soit 1469 jours de piquets , la directrice générale Margaret Chan s'est finalement décidée, le 5 mai dernier, à rencontrer les représentants de cette initiative. Est-ce à dire que l'OMS va prendre ses distances et trouver de meilleurs interlocuteurs pour ses consultations ? Le moment serait bien choisi, estime Abraham Behar, le président de l'association française des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire il en va de la crédibilité de cette institution. Reste à voir si l'OMS peut changer son fusil d'épaule ou troquer sa trousse de pharmacie. Au-delà des chiffres, ses chiffres sur Tchernobyl, se coltiner la réalité des faits et des dégâts serait pour elle une aventure. Aux dernières nouvelles, elle hésiterait encore à mettre sur pied un groupe de travail scientifique sur les effets génétiques de Tchernobyl. Se libérer de 52 ans de soumission, ça commence pourtant par là.
BC in Charlie-Hebdo, n° 986, 11 mai 2011 (sous le titre 'l'OMS, irradiée jusqu'à l'os').