MEMOIRE ET NUCLEAIRE
ATTENTION
ANCETRES DANGEREUX
La question de Barry Commoner (1) Quelle Terre laisserons-nous à nos bambins ? posée dès 1969 en cacherait une autre : quel souvenir faudra-t-il ne pas leur laisser ?
Le monde nucléaire se débat avec la destruction durable. Il se pose donc forcément la question quasi métaphysique : comment éviter à nos descendants de se prendre la tête avec le pire que nous allons leur léguer ? Comme pour les réacteurs de la ...25ème génération, ca carbure pour anticiper. Si l'uranium sera bientôt épuisé, d'aucuns s'épuisent à chercher le meilleur moyen de prévenir nos descendants de la dangerosité des sols et des mers contaminés. En 2007, suite à des accidents divers et variés, la très célèbre Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) s'est rendue compte que la fameuse hélice agrémentée de rayons sur fond jaune pourrait ne pas faire peur. Dans sa grande sollicitude, elle a décidé de réviser sa propre signalisation. Depuis lors, celle-ci est accompagnée d'un homme qui s'enfuit et d'une tête de mort. Mais nos experts admettent que les panneaux pourraient ne pas résister à l'érosion du temps. Qui plus est, le message avec un crâne et des ossements - symbolisant la mort et la destruction- n'est pas universel. L'expert suisse Marcos Buser, censé conseiller les autorités helvétique sur le laboratoire du Mont-Terri, dans le Jura, rappelle que dans une église, cela peut marquer l'emplacement de la tombe d'un saint, et ailleurs, c'est l'emblème de la piraterie. Bref, faire du durable dans la prévention est une vraie prise de tête.
Mais c'est le genre de défi qui inspire et pas seulement les auteurs de science-fiction. Il y a dix ans, 1 million de dollars ont été débloqués par le Département de l'Energie (DOE) des Etats-Unis pour recruter les meilleurs linguistes et anthropologues. Objectif : élaborer un système de marquage fonctionnant sur le long terme. Un marquage compréhensible par nos petits-enfants. Charlie-Hebdo aurait été ravi de vous communiquer les résultats de cette étude mais le lecteur, fidèle, devra patienter jusqu'en...2040.
Les archéologues ont déjà de la peine à interpréter les symboles qui remontent à plus de 3.000 ans. Il n'est donc pas étonnant que nul ne semble parvenir à traduire le mot danger dans les langues qu'emprunteront les générations à venir, ceux qui habiteront la planète dans 10.000 ans, soit dans 300 générations. Pour se faire une petite idée du temps à parcourir, remontons un peu dans le temps : il y a 10.000 ans, nous en étions encore à l'âge de pierre !
Face à toutes les marges d'erreurs dans nos prospectives, face aux catastrophes qui ne manqueront pas de perturber nos mises en garde et S.O.S. plus ou moins codés, certains petits malins croient avoir trouvé la parade : l'oubli. On va donc ruser avec l'histoire. Plutôt que de tenter de bricoler des aide-mémoires, des boîtes noires irrécupérables, ne vaut-il pas mieux tenter d'effacer les traces de nos méfaits ?
Restreindre notre disque dur ? Pas besoin d'invoquer Orwell dans '1984' qui avait imaginé le trou de mémoire pour documents compromettants. La formule se pratique déjà dans le monde nucléaire. Le curieux qui, en 2984 par exemple, voudra connaître le pourquoi du comment de l'accident nucléaire de Windscale en 1957 aura bien du mal à mener son enquête : le nom de Windscale a été remplacé par celui de Sellafield. En Afrique du Sud, tous les documents relatifs au programme nucléaire militaire des mordus de l'apartheid ont été soigneusement détruits en l'espace de 6 jours sur ordre du Premier ministre le 17 mars 1993. Qui fait mieux ?
Le documentaire 'Into Eternity' du danois Michael Madsen, sorti sur les écrans français en mai, confirme cette tendance. En Finlande, où des galeries dénommées sanctuaires, ont été creusées à 500 mètres sous terre, le site d'enfouissement des déchets serait la structure la plus durable de notre civilisation. Scellée pour l'éternité. Son nom : 'Onkalo' que l'on peut traduire en français par la cachette. (cave en finlandais) Pour les architectes de cette 'cachette', la meilleure façon de ne pas porter atteinte au moral des peuples, c'est de s'épargner l'effort de se souvenir. Tout simplement. Pour mieux enfouir des déchets, enfouissons les mémoires. Il fallait y penser ! Si le système Onkalo est transposé en France, du côté du site de Bure dans la Meuse, l'Andra, l'Agence nationale pour la gestion des Déchets, pourra s'intituler l'Agence Nationale pour Développer et Reproduire l'Amnésie. Pas besoin de changer de sigle.
BC, Charlie Hebdo, août 2011
Notes
(1) voir aussi 'la descente aux enfers nucléaires