"Les pensées évoluent, les écrits restent." Telle est l'idée qui vient à l'esprit lorsque le contemporain des années 90 consulte La Course à la mort, un ouvrage écrit à la fin des années 60.
A l'époque, les Etats-Unis incarnent quasiment (pour certains) le paradis sur terre. Le Tiers monde et la destruction de l'environnement demeurent ignorés ! L'arme nucléaire est banalisée. Et pourtant, on aperçoit d'ores et déjà les premières fissures. C'est le temps des premiers avertissements, encore à peine perceptibles, au sujet de la fragilité de la Biosphère et de l'inégalité du développement économique au détriment des pays du Sud. La grande rupture viendra plus tard lorsqu’une nation et le camp idéologique qu'elle préside seront contraints d'abjurer leur foi en l'idéalisme américain. Des journalistes démontrent alors que les Etats-Unis ne défendent nullement 'la liberté' au Vietnam, mais les intérêts d'un monstrueux complexe militaro-industriel soutenu par les ambitions personnelles d'une minorité marginale de militaires. L'un de ces investigateurs infatigables, est de nationalité britannique et journaliste scientifique de profession. Il s'appelle Robin Clarke. Il est rédacteur en chef de la revue américaine Science Journal.
Au cours de ses recherches, un sentiment de désillusion à l'égard des Etats-Unis s'empare de lui et, par la suite, il remet en question l'ensemble des acquis technologiques vénérés par ses contemporains. Il entreprend alors une expédition vers des gouffres inexplorés et invite le lecteur à l'accompagner dans son récit qu'il intitule La course à la mort.
L'introduction est consacrée à l'explosion démographique. En l'an 2000, dix milliards d'humains se partageront un monde à la veille de la Troisième Guerre mondiale qui opposera les deux camps militaires, dans l'attente de la quatrième, déclarée par les désespérés du Sud aux peuples du Nord. En l'an 2000, certains pays du Tiers monde auront acquis l'arme atomique malgré leur pauvreté.
La découverte du nucléaire et sa transformation en arme absolue a donné à l'homme la possibilité d'agir sur la morphologie même de la terre. En 1952, une île entière du Pacifique fut éliminée lors de l'essai de la première bombe à hydrogène.
De plus, la bombe testée le 1er mars 1954 à Bikini fut à l'origine d'une radioactivité mesurable à l'échelle planétaire. L'abime où les habitants de Hiroshima et de Nagasaki furent projetés en une seconde serait peu de chose par rapport à l'enfer qui s'ouvrirait sur les Américains en cas d'une attaque généralisée. Les Etats-Unis cesseraient d'exister. La nécessité de recourir au plutonium, matériau le plus dangereux que l'on connaisse, et de développer des systèmes annexes complexes (vecteurs, infrastructures) rendent l'armement atomique extrêmement onéreux. Par conséquent, le nombre de pays pouvant s'en doter est réduit.
Même pour des pays riches, le fardeau est énorme car des milliers d'ingénieurs et des centaines de scientifiques sont absorbés par ce programme. Au sujet du Programme Manhattan, un scientifique éminent déclara: "Qui sait ce qu'avec la même quantité de science et de technologie on aurait pu réaliser pour le bien de l'humanité si notre effort avait été tourné vers des objectifs de paix."
Le drapeau américain planté sur la Lune incarne le point culminant des années 60. Cependant, dès le début, la grande aventure, avec l'aide de savants allemands immigrés aux Etats-Unis après la Deuxième Guerre mondiale, n'est pas l'oeuvre des scientifiques mais des militaires. De même la NASA, officiellement un organisme civil, s'occupe en réalité de la coordination des programmes spatiaux de l'armée de terre, de la marine et de l'armée de l'air américaines. Les concepts de stations et d'avions orbitaux étaient également d'origine purement militaire. Le même constat peut être avancé au sujet des satellites dits "scientifiques". Sur les 458 satellites lancés par les Etats-Unis entre 1958 et 1969, 284 eurent des missions militaires. Par ailleurs la majorité des lancements n'a jamais été annoncée.
L'emprise des militaires sur la science se manifeste également dans la recherche océanographique. La recherche sur les bruits des poissons est encouragée car les marines américaine et anglaise en bénéficient pour la mise au point de dispositifs de repérage de submersibles ennemis. Pourtant une menace pire pèse sur les océans, à savoir les retombées radioactives provenant des essais nucléaires américains et français. La recherche maritime militaire, déguisée en recherche civile, porte sur le comportement des dauphins, l'amélioration des sous-marins de poche et les constructions au fond des océans dont le but est l'installation de silos de fusées porteuses d'ogives
La destruction de l'environnement s'observe partout, à la fois en raison de la course aux armements et de l'emprise militaire sur la recherche scientifique.
De plus, une guerre écologique ouverte est menée au Viêtnam sous forme de destruction des forêts dans le but d'anéantir les bases vitales des Vietcong. S'ajoutent enfin les accidents à proprement parler, comme celui du 9 juillet 1962, lorsque la détonation d'une bombe atomique à Johnston Island déclencha un séisme en Californie.
Le pire cependant est le freinage de la recherche scientifique civile par le complexe militaro-industriel. Les pays du Tiers monde en sont les victimes principales car leurs meilleurs savants émigrent aux Etats-Unis, privant les pays du Sud de la matière grise indispensable pour la réalisation de projets civils essentiels pour leur avancement. Toutefois, les Etats-Unis eux-mêmes n'échappent pas aux effets néfastes de la course aux armements. Les programmes militaires jouissent toujours d'une priorité aux dépens des programmes de recherche civile.
La guerre est la conséquence logique de la nature humaine. Plusieurs théories entendent le mettre en évidence. Selon Johan Galtung, les guerres découleraient de l'organisation interne des sociétés ; selon Richardson, elles seraient dues à la perception des différences insurmontables des individus entre eux ; enfin la nature des rapports internationaux est avancée.
La Course à la Mort ou la technocratie de la guerre, paru aux Editions du Seuil en 1971 et traduit par Georges Renard à partir de The Science of War and Peace, aura été l'un des premiers ouvrages à dévoiler la grande illusion des années soixante. Ce récit d'une expédition dans les abîmes ignorés des contemporains de la "décennie heureuse" a frappé le monde. On soupçonna Clarke d'être "à la solde de Moscou" ou un romancier de science- fiction. L'actualité a amplement prouvé, hélas, que trop de faits ont encore échappé à Clarke, y compris par exemple les essais d'irradiation pratiqués sur des soldats américains non protégés ...