Destructions durables

Vivent les "réarmements civique et militaire" dit-il (suite)

Dans la foulée du nouveau réarmement moral, la pratique du ‘en même temps’ va de pair avec celle du déni. Y compris le déni d’opérations militaires contestables. Entre 1944 et 45, des têtes brûlées à Londres et Washington embauchent le chercheur néo-zélandais Thomas Leech, pour mener une série d’expériences top secret (‘higly classified’) en vue de générer des tsunamis à partir d’explosions sous-marines. Elles auront lieu dans la baie des baleines ou Whangaparaoa, dans le cadre du ‘projet Seal’, rendu public en 1999 grâce à l’enquête menée par le journaliste Eugene Bingham dans les archives du ministère néo-zélandais des affaires étrangères

 

Le commun des mortels n’en a jamais rien su mais à Tahiti, lorsque le Délégué du ministre français de la défense, Marcel Julien de la Gravière, se manifeste au journal télévisé du 27 janvier 2011, pour prévenir qu’un effondrement d’une partie de l’atoll de Moruroa (ébranlé par 179 essais nucléaires aériens et souterrains) risque de provoquer une vague de 20 mètres de hauteur, la Royale s’évertue à nier ce scénario, ce qu’elle a fait depuis l’installation du Centre d’Expérimentation du Pacifique, (CEP) à Papeete en 1964.
En tout cas, le test accélère les démarches diplomatiques pour parvenir au traité de désarmement sur le fond des mers et des océans (Seabed Treaty en anglais) de février 1971. Il interdit tout simplement aux signataires de nucléariser des océans. Mais comme la consigne n’a pas convenu aux responsables français, ils ont refusé de signer et ratifier, contrairement à leurs collègues Britanniques, Soviétiques et Américains. Cette posture désinvolte a permis à la France de poursuivre sa série d’expérimentations nucléaires dans le Pacifique Sud. Malheureusement, nul militant de la cause climatique n’a intenté un procès dans le registre de ‘l’affaire du siècle’, ou suggéré une commission ‘vérité et réconciliation’, bien que les essais nucléaires aient occasionné des milliers de victimes que le gouvernement et l’Elysée n’entendent pas reconnaître.
Ce refus de la France d’adhérer au Seabed Treaty ne l’a pas empêchée non plus de se positionner, 50 ans plus tard, à l’avant-garde des Etats qui refusent d’exploiter les minerais dits ‘stratégiques’ des fonds marins ; et d’être applaudie par toutes les ONG anti-extractivistes qui n’ont pas capté le double jeu de la diplomatie française.

Avec la volonté de torpiller la Convention ENMOD

Les dénis sont légion. Lors des accords en faveur de la Convention ENMOD, la seule convention qui interdit de recourir à l’environnement comme arme de guerre, plus de 70 Etats (dont la Corée du Nord et à l’exception d’Israël) ont signé et ratifié ce traité. Sa valeur réside dans le fait que pourront désormais (à partir de 1978) être sanctionnés les auteurs de manipulations météorologiques à l’instar de ce qu’avaient fait le Pentagone avec la CIA au Vietnam, Laos et Cambodge (Mars 1967 à Juillet 1972) dans le cadre de l’opération Popeye (pour ensemencer les nuages). Mais la France a refusé de s’y soumettre. Cocorico. Les ONG se sont tues. Les voix écologistes sont restées inaudibles Les représentants officiels de l’Hexagone ont fait valoir qu’il était inutile d’interdire des armes qui n’existaient pas (sic). Pourtant, dans une publication vietnamienne sur l'histoire de la bataille de Dien Bien Phu, datée du 23 avril 1954, on peut lire que ‘L'état-major général du général Navarre a envoyé un message radio au général Cogny l'informant que le 24 avril, 150 paniers de charbon actif et 150 sacs de lest seraient transportés par avion depuis Paris pour fabriquer une pluie artificielle destinée à entraver nos mouvements et notre ravitaillement’. Mais cette version des faits a été zappée par le Quai d’Orsay qui n’a pas jugé utile de fournir la moindre explication.

Du refus de la transparence au négationnisme

Au moment où les militaires veulent accréditer la thèse selon laquelle ils ‘font de l’écologie’ comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, il est urgent de repérer ce qui relève du bluff ; de l’enfumage ou carrément d’une forme de négationnisme.
En conformité avec l’attitude de la majorité des armées dans le monde, pour qui la transparence doit se limiter au greenwashing, les forces armées françaises ne divulguent aucune information sur l’empreinte carbone des OPEX. Un seul rapport – datant de 2011 ! mentionne le bilan carbone du ministère. Pas évident d’évaluer "l'empreinte carbone" du conflit entre Israël et le Hamas. Certes, les dégâts de la guerre entre Israël et le Hamas ne peuvent se réduire à des analyses sur l’empreinte carbone et la tragédie qui s’y déroule dépasse et de loin les enjeux climatiques. Mais de toute façon, l'armée israélienne ne communique pas de chiffre sur ses émissions militaires, même en temps de paix. On peut juste faire remarquer, en relativisant cette pollution par rapport aux mobiles destructeurs, que la surconsommation d’obus, bombes, missiles, roquettes et munitions de tous calibres fait grimper les émissions de C02.
Dans la guerre menée en Ukraine, des estimations sont disponibles à partir des feux de dépôts de carburant à Okhtyrka, à Kharkiv, ou encore à Lviv, des feux d’infrastructures pétrolières, et des feux de forêts - dont 200.000 hectares sur la ligne de front. Même si c’est approximatif comme avec les incendies dans la réserve de biosphère de la mer Noire.
Le millier de feux de forêt déclenchés en raison des combats ont généré 33 millions de tonnes de CO2. Si nos responsables politiques de tout bord sont allergiques à ces calculs, c’est uniquement parce que cela confirme que toute projection de force dans le cadre d’expéditions dites punitives torpillent les efforts affichés pour atténuer les dommages climatiques et ternissent les engagements qui relèvent de l’incantation.

Exploits et désastres sur la base de ‘Camp Century’

Les militaires français, hier encore climato-sceptiques selon un rapport parlementaire datant de 2012, se disent prêts à participer à la défense de leurs bases et (même) au sauvetage des rescapés des catastrophes climatiques. Ils rappellent qu’ils ont été à bonne école puisque dès 1948, l’OTAN a organisé une conférence sur les risques de réchauffement sur la banquise. Ces séances de rattrapage n’ont pourtant pas fait barrage aux projets telle la construction de la base de Camp Century (de 55 hectares) au Groenland, planifiée au moment où fut célébrée l’année internationale de géophysique (1957-58). A 30 mètres sous la surface de la banquise, des ingénieurs (U.S.) se sont lancé dans le montage d’une cité dans la glace. Dès 1959, ils vont creuser 4 kilomètres de galerie et dégager 120 tonnes de neige par mois. Objectif de ce projet avorté : stocker 600 missiles balistiques à portée de tir de l'URSS. Tandis que le chantier est abandonné dès 1967, il ne sera révélé qu’en 1997. Mais plutôt que de s’alarmer des retombées de la fonte des glaces, de la dispersion des déchets qui vont empoisonner l’océan Arctique, nos élites éclairées se félicitent d’avoir procédé (en 1966) à l’un des premiers carottages et d’avoir ainsi boosté la science de la climatologie.

Des vérités qui dérangent en Baltique

cygognes et champs6batailleLa capacité de nuisance n’est pas une tourneuse de phrase. Ni le symptôme d’un antimilitarisme déplacé. Les dérives des opérations militaires dans le cadre d’expéditions punitives sont célèbres et d’ailleurs célébrées ici et là par des personnage politiques en quête de reconnaissance. Elles ont rythmé et façonné nos livres d’histoire ; une histoire qui, pour ne pas nous désabuser, est bourrée d’omissions. Il en va ainsi des poisons immergés dans la Baltique.
La mer Baltique dissimulerait à ce jour près de 40.000 tonnes de munitions de l’après 45, dont 13.000 tonnes de substances toxiques provenant des arsenaux allemands. Plus à l’Est, dans la baie de Gdansk, une soixantaine de tonnes d’armes chimiques et conventionnelles auraient été déversées en 1946. Tandis que les marines du monde détournent les yeux, L’U.E. s’en fout. Les parlementaires ont d’autres diables à fouetter. La Russie de Poutine aussi et les autorités ne font rien pour fournir les informations nécessaires. Pourtant, des militants-experts dressent des inventaires des dégâts comme l’ONG’ International Dialogue on Underwater Munitions créée au Canada il y a vingt ans. Concernant la Baltique, 16 % de ces substances toxiques suffiraient à éliminer toute vie dans cette mer quasiment fermée. Concernant l’Atlantique nord-est, près de 200.000 fûts de 200 litres de ces déchets ont été immergés, et n’ont pour l’heure toujours pas été récupérés. Nombre d’entre eux sont désormais en état de détérioration avancée, ce qui rend toute récupération quasi impossible. Un fardeau que les générations futures vont devoir gérer en guise d’héritage. Il mérite réflexion, y compris chez les écologistes à qui l’on a fait croire que les pollueurs les plus grands et les plus malfaisants sont des entreprises civiles.

Le retour à l’économie de guerre

Dès les premiers jours de la guerre en Ukraine, certains idéologues s’acharnent à nous transmettre leur vision du monde : qu’une croissance ‘soutenable’ couplée d’une industrie de défense florissante constitue deux piliers complémentaires. Ils nous expliquent que le réarmement (ici, chez nous) est un vecteur de stabilité démocratique (sic) au même titre que la ‘décarbonation’ de l’économie prévue par le Pacte Vert européen ; que c’est la meilleure façon de porter un coup mortel aux ‘dividendes de la paix’ d’une époque révolue. Tel est le discours déroutant que tiennent certains acteurs de la finance internationale dont Kenneth Rogoff, professeur d’économie à Harvard, économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI) de 2001 à 2003. Il réclame que les investissements dans l’armement soient reconnus dans le cadre de la finance ‘à impact social et environnemental’.
En ce début de 2024, Il ne manquait plus que çà !

B.C.