Destructions durables

Vivent les 'réarmements civiques et militaires', dit-il

ENFER GUERNICADes guerriers en tout genre, qui rajoutent la préférence militaire à la ‘préférence nationale’, sont en train de faire dévier toutes nos boussoles. Artisans de basses besognes militaro-policières, ils n’ont toujours pas compris que ‘la bombe des inégalités est bien plus redoutable que la bombe de Kim-Jung-Un’, comme dirait Bertrand Badie. Encadrés par les stratèges du Prince va-t-en guerre, ils ne veulent pas comprendre que notre sécurité ne dépend pas seulement de celle de son voisin, mais de tous les humains. En se proclamant défenseurs de grandes causes nationales, sans prendre la mesure des tragédies géopolitiques en cours, ils oublient que la guerre de haute intensité à laquelle nos états-majors se préparent, avec ou sans SNU, est une guerre de haute intensité destructrice.

 

L’année 2023, une année d’exception

Nous avons vécu en 2023 l’année la plus chaude de l’histoire, en tout cas depuis qu’existent des données météo, si l’on en croit l’observatoire européen Copernicus
Mais cette singularité est tellement mise en avant qu’on en oublierait presque qu’en 2023, les Terriens ont subi le plus grand nombre de conflits (concernant 56 Etats) depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce chiffre inclut le bombardement par l’armée éthiopienne de la province du Tigré, soumise à un blocus militaire depuis un an, privée d’électricité, de nourriture et de fournitures médicales, soit 50.000 à 100.000 êtres humains directement tués et 150.000 à 200.000 morts de faim. Pour rallonger ce catalogue des horreurs, rappelons que dans la guerre civile en Birmanie, le bilan est d’au moins 1,3 million de civils déplacés, fuyant des crimes attestés contre l’humanité. Dans ce tumulte, le Japon a décidé de s’affranchir de vieux tabous et son budget de la défense va se hisser bientôt à la troisième place du podium mondial. La Corée du Nord a procédé en l’espace de la seule année 2022 à 90 essais de missiles.

ATTENTION MINESToujours durant cette même année, le nombre de victimes causées par des mines antipersonnel a été multiplié par 10 par rapport à 2021, comme le rapporte l’Observatoire annuel des mines.
En 2023, avec Gaza en ruine et Marioupol quasiment rayé de la carte, nous sommes les témoins d’une époque qui inaugure une tentative d’écocide avec la destruction du barrage de Kakhovka sur un territoire où, pour la première fois, une centrale nucléaire, celle de Zaporijia, (soit 3 fois la puissance de Tchernobyl) a été prise pour cible, avant d’être occupée par les nouveaux envahisseurs.
En résumé, nous vivons Not a World War But a World at War » (non pas une guerre mondiale, mais un monde en guerre) comme l’a titré le magazine ‘The Atlantic’ en novembre 2023.


Avec des politiques au-dessus de tout soupçon

Ces conflits de haute intensité à laquelle nos états-majors se préparent sont des guerres de haute intensité destructrice. Le problème n’est pas lié au fait que les hommes casqués de par le monde tuent davantage de civils que n’importe quelle autre profession. Il réside davantage dans la difficulté qu’ils ont d’assumer leurs méfaits à une époque qui synchronise la montée en puissance de la répression et de la mauvaise foi. Cette mauvaise foi est une vieille histoire. Aux générations futures de détecter les couleuvres que les spécialistes du chaos ont tenté de nous faire avaler. Notamment au sujet des atouts de leur quincaillerie. Parmi elle, la célèbre ‘bombe à neutrons’, présentée aux naïfs dès les années 80 comme une ‘arme écologique’, sous prétexte qu’elle ne tuait que les humains…Merci pour eux.
A force de chercher des recettes dans l’économie des pertes, les commanditaires ont introduit, outre une politique nataliste rebaptisée ‘armement démographique’, le mot d’ordre du ‘zéro mort’. Ce ‘fake news’ ne tient pas la route, au regard des ‘hot spots’ de la planète dont les tragédies de Kiev et Gaza. En matière de ciblage, certaines recrues se surpassent sur les théâtres d’opération en Palestine ou/et en Ukraine. En violant allègrement les Conventions de Genève, les militaires ‘cartonnent’ les hôpitaux, les orphelinats, les camps de réfugiés et les journalistes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : à Gaza, plus de 100 journalistes et plus de 300 médecins et travailleurs de la santé ont été tués. Difficile en tout cas de faire de la ‘compta’ à partir des massacres et actes de barbarie…Mais comme le constate l’historien de l’environnement Fabien Locher ‘Il y a une sorte d’accoutumance à la démesure de la destruction’.

Pour un meilleur ciblage de la destruction


oeilCette démesure de/dans la destruction va de pair avec un champ lexical bien balisé et qui renvoie au principe du ‘en même temps’. Un réarmement du langage. En Palestine, par exemple, où l’aviation de Tsahal largue 6.000 bombes par semaine, ce sont ‘en même temps’ 36 % et 45 % des bâtiments de Gaza - maisons, écoles, mosquées, hôpitaux, magasins – qui ont été endommagés ou détruits. Du côté de l’Ukraine, ce sont des milliers de victimes. En mer Noire, plus de 3000 dauphins ont été retrouvés morts, tués par les émissions des sonars des navires. Et, en même temps, le paroxysme de la pollution s’étale au grand jour avec au moins 230.000 tonnes de débris militaires éparpillés sur le territoire ! La guerre est bien un scandale écologique – et durable !. Le chercheur Adrien Estève estime que « ce qui se passe en Ukraine va marquer ‘un tournant pour le droit international de l’environnement dans les conflits’. Le seul problème, c’est que des prédictions similaires avaient été prononcées il y a 30 ans, lorsque Saddam Hussein avait ordonné d’incendier des centaines de puits de pétrole. En guise de consolation, il serait tentant de rappeler que le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) s’est engagé à présenter, devant l’Assemblée générale de l’ONU, un rapport annuel sur l’impact environnemental des conflits armés. C’était en 2012. Et on attend toujours.

En s’armant du ‘En même temps’

Parmi les institutions qui jouent sur l’embrouille, l’Alliance atlantique. Tout comme le Forum de Davos, elle est pavée de bonnes intentions. Reconvertie en bras armé du shérif mondial, l’OTAN a mené des guerres chaudes en Yougoslavie, en Afghanistan et en Libye, sans parler des dommages collatéraux à Chypre (depuis 1974). En même temps, les adeptes de cette coalition occidentale ont pratiqué le racolage avec le programme de Partenaires pour la Paix (PPA) créé en 1994. Mieux encore, dès 1969, l’OTAN a mis sur pied un Comité sur les défis de la société moderne (CDSM). En même temps. Sa raison d’être a consisté dans un premier temps à distribuer des bourses de recherche relatives à des questions telles que la pollution atmosphérique, la pollution sonore, les soins de santé avancés et l’élimination des déchets dangereux. Puis, le CDSM a favorisé des études pilotes sur la pollution radioactive, la limitation des dégâts, les méthodes d'assainissement applicables aux anciens sites militaires contaminés, la protection de la couche d'ozone, etc. Cette attention portée à la cause environnementale n’empêche pas les militaires de n’importe quelle unité d’un Etat membre de l’OTAN de mettre l'environnement ‘au pas’, au service de la guerre.
Dans le domaine spatial, le même phénomène schizo est à l’œuvre puisque nos politiciens bellicistes préconisent la militarisation de l’espace, y compris en France où l’espace dispose d’un commandement basé à Toulouse.
L’aventure remonte au ‘projet A-1 19’ qui visait très sérieusement à faire exploser une arme nucléaire (U.S.) sur la Lune. Cet exhibitionnisme post-Sputnik dont la rationalité stratégique était douteuse et auquel Washington a renoncé, fut ébruité en mai 2000, de l’aveu d’un ancien responsable de la NASA, Leonard Reiffel, qui dirigea le projet en 1958. Parmi les complices, l’astrophysicien américain Carl Sagan (le père des risques d’hiver nucléaire), chargé de prévoir les effets d'une explosion nucléaire dans un environnement à faible gravité (!). Ce nouveau réarmement spatial (encore un ! ) se justifie : le recours aux satellites permet d’activer - en même temps- la cyberguerre et l’observation environnementale. La montée en puissance des lancements conduira dans une future séquence, à d’autres défis telle la gestion des débris spatiaux qui prolifèrent…
La pratique du ‘en même temps’ ne date pas de Macron. C’est un élément de langage que les politiques maîtrisent et manient depuis longtemps. Les militaires aussi. Les plus arrogants parmi eux prétendent qu’Ils n’ont pas attendu les environnementalistes pour s’intéresser à ces enjeux. Sauf que …ils n’ont pas agi avec les mêmes intentions et les mêmes objectifs. Pour résumer, si les stratèges (depuis Sun-Tzu) ont manifesté un intérêt certain pour l’environnement depuis qu’ils jouent à se faire peur, ce n’était pas pour le préserver mais plutôt pour le malmener ; pour le cajoler si nécessaire, mais surtout pour l’abîmer voire le détruire.
B.C.
A suivre….