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Les îles Chagos, dernière colonie british en Afrique

JUSTICE 2

Le Royaume-Uni semble disposé à restituer sa dernière colonie africaine. Finalement. Dans une déclaration commune le 3 octobre, (2024), Maurice et le Royaume-Uni ont annoncé que l’archipel des Chagos - archipel de l’océan Indien d’où près de 2.000 Chagossiens ont été déplacés de force par les Britanniques dans les années 1960 - serait reconnu comme faisant partie de l’île Maurice. Le Premier ministre de la République de Maurice et son homologue du Royaume-Uni sont parvenus à un accord politique historique sur l’exercice de la souveraineté sur l’archipel des Chagos, peut-on lire dans la déclaration conjointe des deux États, publiée le 3 octobre 2024.

Un accord historique avec un ‘mais’

Il y a reconnaissance ….mais sous réserve que le Royaume-Uni et les États-Unis maintiennent leur présence militaire sur la plus grande des îles, Diego Garcia. Cet accord est donc controversé : la majorité des Chagossiens expulsés en sont originaires, et l’accord ne doit pas compromettre toute possibilité de réinstallation pour eux et leurs descendants. ‘Sommes-nous en train d’attendre le moment où il n’y aura plus d’autochtones pour traiter avec le gouvernement britannique ? s’interroge Olivier Bancoult, responsable du groupe des réfugiés des Chagos, qui milite depuis de nombreuses années pour le droit de son peuple à retourner sur le minuscule archipel d’îles dont ils ont été chassés.
Pour le Royaume-Uni, l’accord présente une victoire de la diplomatie. Mais il permet la poursuite de sa présence stratégique grâce à la base militaire qu’il partage avec les États-Unis. L’accord devrait en même temps ‘ empêcher l’océan Indien de devenir une voie dangereuse d’immigration clandestine vers le Royaume-Uni, si l’on en croit David Lammy, le ministre britannique des Affaires étrangères, Car ces dernières années, quelques migrants ont atteint les îles Chagos, certains cherchant l’asile au Royaume-Uni. Une fois le territoire sous souveraineté mauricienne, l’île Maurice sera responsable des arrivées futures….
Pour l’île Maurice, cet accord représente une victoire historique et une mesure de justice. Toutefois, Le traité (au contenu non divulgué) a été critiqué par certains groupes de défense des droits des îles Chagos, qui considèrent qu’il ne tient pas compte du point de vue des autochtones. La plateforme populaire basée au Royaume-Uni, Chagossian Voices, a critiqué l’exclusion des Chagossiens des négociations. Dans une déclaration du 3 octobre, elle exige leur implication dans la rédaction du traité. Cette critique se retrouve dans les remarques de Clive Baldwin, de l’ONG Human Rights Watch. ‘Trop souvent, depuis les années 1960, des accords ont été conclus à propos des Chagossiens, sans eux, et des sommes limitées ont été versées à titre de charité ou de développement, et non de compensation’
Dans un rapport 2023 très détaillé, l’ONG Human Rights Watch souligne à la fois l’histoire des échecs de la prise en charge des besoins de la communauté exilée, et les multiples façons dont les autorités britanniques ont enfreint le droit international. Le gouvernement mauricien a toujours affirmé que le Royaume-Uni l’avait contraint illégalement à céder l’archipel des Chagos en échange de son indépendance. Pire : ‘Il s’agit de déplacement forcé, d’une obstruction au retour. Il s’agit également – en raison des preuves de racisme - de persécution fondée sur la race’, estime Clive Baldwin, l’auteur du rapport.

Les torts du passé et les réparations et droit au retour

DIEGO GARCIALe gouvernement de Londres affirme qu’il y aura une aide substantielle pour le bien-être des Chagossiens. Mais rien de tout cela n’équivaut à des droits. Si environ 280 Chagossiens ont reçu des indemnités dans les années 1970 après leur expulsion, celles-ci ont été jugées insuffisantes. Dans le cadre du nouveau traité proposé, l’île Maurice souhaite que cela inclut des dispositions pour ‘réparer les torts du passé et améliorer le bien-être [des Chagossiens]’. À cette fin, le Royaume-Uni s’engage à fournir un soutien financier à Maurice, sous la forme de subventions annuelles et d’investissements dans les infrastructures. Cette mesure s’inscrit dans le droit fil d’un rapport publié en 2023 par Human Rights Watch, qui en appelle au Royaume-Uni à verser des réparations complètes et inconditionnelles aux générations touchées par les déplacements forcés. Il s’agit d’un ‘crime colonial effroyable’ et d’un crime contre l’humanité commis à la fois par le Royaume-Uni et les États-Unis.
Reconnaît-il aux Chagossiens le droit de rentrer chez eux ? ‘Toute reconnaissance de leurs droits est la raison pour laquelle les Chagossiens considèrent que le mot ‘réparations’ est important. Le Royaume-Uni déteste ce terme à cause du risque d’un précédent. Mais il s’agit de l’un des exemples les plus clairs de réparations, non seulement pour des torts historiques, mais aussi pour des torts actuels. Les Britanniques ‘ne veulent toujours pas utiliser le terme ‘réparations’, même s’ils ont (finalement) reconnu que le déplacement forcé était de ‘notre responsabilité’. Et l’application des principes de réparation équivaudrait au droit au retour et à la restauration de l’île pour qu’ils puissent rentrer.

Un conflit de plusieurs décennies.

L’histoire des îles Chagos remonte à plusieurs siècles. Sous la colonisation française des îles de l’océan Indien entre 1700 et 1800, elles étaient administrées comme une dépendance de Maurice. Cette gestion a perduré après 1814, lorsque Londres a pris le contrôle de l’archipel. En 1965, dans le cadre de la décolonisation, le Royaume-Uni a séparé l’archipel des Chagos de Maurice pour créer une nouvelle colonie. Après l’indépendance de Maurice en 1968, les Chagossiens ont été expulsés pour permettre l’installation d’une base militaire américaine, conformément à un accord passé en 1966.
chagos 4cc38 e2e3eDepuis 1968, l’île Maurice tente pacifiquement de récupérer l’archipel des Chagos. Après l’échec des négociations avec le Royaume-Uni, elle a saisi la Cour permanente d’arbitrage en 2010, qui lui a donné raison. Cependant, le Royaume-Uni a maintenu sa position. 
Bien avant que la revendication mauricienne ne gagne en visibilité internationale, les Chagossiens de l’île Maurice et du Royaume-Uni avaient intenté plusieurs actions en justice contre le gouvernement britannique pour contester leur expulsion et l’occupation continue des îles. En 2019, la Cour internationale de justice (CIJ) a jugé l’occupation britannique illégale, mais l’archipel est resté sous contrôle britannique. Forte du soutien de plusieurs instances onusiennes, de l’Union africaine, de pays africains et de l’Inde, Maurice a entamé des négociations en 2022, qui ont abouti à l’accord actuel.
Au cours des prochains mois, les négociateurs et les rédacteurs juridiques de l’île Maurice et du Royaume-Uni finaliseront le traité. S’il est peu probable que le processus rencontre une forte résistance, l’avenir nous dira s’il s’agit d’un pacte faustien ou d’une charte de la liberté.

Un précédent

Ottilia Anna Maunganidze, de l’Institut d’études de sécurité de Pretoria, estime que ces principes fondamentaux en matière de droit et de droits de l’homme, ainsi que la manière dont l’accord se déroulera pour les Chagossiens dépendront des termes précis de l’accord initial sur la souveraineté. Le nouveau gouvernement pourrait faire pression en faveur de ‘conditions plus claires’ concernant l’usufruit de la totalité ou pas du territoire de Diego Garcia’, avec ‘un arrangement similaire à ce que nous voyons avec la présence militaire américaine ou d’autres pays étrangers dans des pays par ailleurs souverains’, comme Djibouti. ‘Il est donc plus probable qu’ils s’orientent vers une affirmation complète de la souveraineté sur la totalité du territoire des îles Chagos, étant entendu que tout bail ou toute présence des États-Unis et du Royaume-Uni à Maurice, (puisque ce sera alors pleinement Maurice !) se ferait essentiellement dans le cadre d’une sorte d’accord avec le pays hôte’, conclut Ottilia Maunganidze.
Si pour l’essentiel le colonialisme a pris fin il y a plusieurs décennies, certains territoires restent sous contrôle. Après avoir cédé la majeure partie de son empire mondial en 1980, le Royaume-Uni conserve encore 17 territoires insulaires et la juridiction de deux bases souveraines à Chypre. De même, la France possède 16 territoires d’outre-mer, dont Mayotte, la Réunion, l’île de Tromelin et des petites îles de l’océan Indien voisines de l’Afrique. Les États-Unis en possèdent 14. D’autres pays, comme l’Australie, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Danemark, l’Espagne et la Chine, détiennent également des territoires extérieurs. La résolution de la question des Chagos pourrait-elle créer un précédent ?
BC